• Métaphysique et Humanisme

     

    Comment je veux mourir. Pas de faiblesse. Pas de cierges. Pas de prêtres. Pas de cérémonie. Je protesterai contre la mort. Mon dernier mot : je proteste contre la mort. ("Ernest et Béatrix")

    Un immense fleuve d'oubli nous entraîne dans un gouffre sans nom. Ô abîme, tu es le Dieu unique. Les larmes de tous les peuples sont de vraies larmes ; les rêves de tous les sages renferment une part de vérité. Tout n'est ici-bas que symbole et que songe. Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu'ils fussent éternels. La foi qu'on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand on l'a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts.("Prière sur l'Acropole")

    C’est vous qui êtes les sceptiques, et nous qui sommes les croyants.  Nous croyons à l'esprit humain et à ses divines destinées, nous croyons à l’humanité et son impérissable avenir. Vous m’appelez sceptique. Non, le progrès de l’humanité, la dignité de l’homme, cela, j'y crois. Je donnerais ma vie pour cela. Comment dites vous après cela que je suis sceptique ? ("Ernest et Béatrix")

    Je crois à l'œuvre des temps modernes (c'est peut-être même là ma meilleure profession de foi, la plus exacte, celle a laquelle je me réfère le plus souvent). ("Ernest et Béatrix")


  • Considérations politiques

     

    Dure condition du temps présent ! Cruelle alternative! Il faut, si l’on veut servir l’avenir, travailler à détruire la société présente. Car elle est injuste, la forme seule la maintient. Posé l’inégalité des conditions, éliminé la religion, il n'y a qu'une conséquence à tirer : détruire. Or, il est dur de détruire, il faut s’attirer la haine de tous ceux qui s’appe11ent honnêtes gens, il faut prendre un rôle odieux, il faut s’associer à des brigands, il faut se réunir au camp des méchants, et les bons vous maudissent. O barbares! ô inintelligence! D’autre part, être conservateur, ah Dieu! quel crime! Quelle belle âme peut vouloir conserver! La belle âme n'hésite pas, elle est pour l'avenir. ("Ernest et Béatrix")

    Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà la condition essentielle pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant Spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes » est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie.(...)Je disais tout à l'heure : « avoir souffert ensemble ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes ; car ils imposent des devoirs ; ils commandent l'effort en commun. (...). Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. ("Qu'est ce qu'une nation")


  • Sur sa vie

    Oui, si j'ai gardé la gaieté, le sentiment du devoir, le vif goût des choses, je l'attribue à la grande bonté que j'ai toujours trouvée autour de moi. Dès ma naissance, j'ai été entouré de gens excellents. Notre famille, nos amis avaient pour moi une grande affection; j'étais très aimé de mes maîtres; mais ici je m'arrête... mes anciens maîtres, de bien honnêtes gens, un peu bornés, ne veulent pas que je parle d'eux; ils se fâchent quand je leur suis reconnaissant. Oh ! je le serai tout de même... Je garderai jusqu'à la fin la foi, la certitude, l'illusion, si l'on veut, que la vie est un fruit savoureux. Ceux qui la comparent à la rose de Jéricho, qu'on trouve en la froissant pleine de cendre, mettent leur propre faute sur le compte de la nature. Il ne fallait pas la froisser ; une rose est faite pour être sentie, regardée, admirée, non pour être froissée. Il n'y a pas une créature humaine à qui j'en veuille. Les évêques, les curés aussi, me disent quelquefois beaucoup d'injures; ils ont tort. A moins que les temps ne changent, ils ne peuvent pas me faire grand mal, et après tout le mal que l'Eglise peut me faire n'est rien auprès du bien qu'elle m'a fait. Nous autres libéraux, nous ne demandons qu'une seule chose, c'est que chacun ait la liberté de bâtir à sa manière son roman de l'infini. Tout ce qu'on balbutie en pareille matière revient à peu près au même et se résume à dire que, sur ce qui dépasse notre pauvre monde, on ne sait pas grand'chose. A la grâce de Dieu!... Je ne crois pas que le pessimisme fleurisse jamais en Bretagne. Notre vie, notre nature sont quelque chose de petit, mais d'aimable. Pour moi, j'ai gardé le goût de la vie; c'est une bonne aventure; je ne demanderais pas mieux que de recommencer. (Extrait de "Feuilles détachées")

     

    La vie est trop courte. Il faudrait une vie pour aimer, une vie pour savoir, une vie pour bien agir, hélas! et si l’on veut savoir, il faut presque renoncer à aimer; si l’on veut aimer, il faut presque renoncer a savoir. Cela est cruel. Mon défaut, c’est trop d’activité, ou d’activité trop concentrée. je me dévore intérieurement. J’ai tant à vivre, je veux tant vivre, que je n ai pas le temps de vivre pour le dehors. je ne veux rien laisser échapper, je veux tout cueillir. Tantôt je veux me lancer dans la vie politique, tantôt m’absorber dans la science, tantôt ne vivre que pour l’amour, tantôt au fond des campagnes dans une chaumière, inconnu, tantôt en spectacle au monde. O vague indéfini de mon coeur, thème éternel de toute poésie, ô mystère des choses, amour, Dieu caché, force universelle qui te retrouves toi-même ! Et quand on pense que tout cela n’est qu’un phénomène isolé dans l’immense sein de l’infini, phénomène d’un jour, alors j’éprouve une sainte tristesse qui est joie, tous les mots ne portent plus, tout est vrai, tout est chimère, tout s’efface. Et pourtant, ma vie est une. Si j’aimais moins, j’adorerais moins la science. Si je n' étais pas possédé de l'amour de savoir, je n’aimerais pas autant. (Extrait de "Ernest et Béatrix")

     

    Je dois ainsi à M. de Sacy quelques unes des règles morales que j'ai toujours suivies. Je lui dois en particulier cette règle de ne jamais ré pondre aux attaques des journaux, même aux plus grandes énormités. Il était, sur ce point, de l'avis de M. Guizot, qu'aucune calomnie n'atteignit, parce qu'il les dédaigna toutes. Aux divers cas d'exception possibles que je lui soumettais, il répondait : Jamais, jamais, jamais. Je crois avoir sur ce point, comme sur bien d'autres, consciencieusement suivi les conseils de mon vieux maître. Un journal a publié de moi, en facsimilé, un prétendu autographe, de nature vraiment à me couvrir de ridicule s'il eût été authentique. Je n'ai rien dit, et je ne me suis pas aperçu que cela m'ait fait le moindre tort. Je n'ai également opposé que le silence à des comptes rendus de conversations qui auraient duré huit jours et où il n'y a pas un mot de vrai, à des récits de dîners et de déjeuners faits par quelqu'un qui n'a pas pris chez moi un verre d'eau. J'ai laissé imprimer sans réclamation que j'avais reçu un million de M. de Rothschild pour écrire la Vie de Jésus. Je déclare d'avance que, quand on publiera le facsimilé du reçu, je ne réclamerai pas. Du haut du ciel, M. de Sacy sera content de moi. Ceux qui ont besoin, pour l'apologie de leurs dogmes, que je sois un être bien noir, trouveront toujours moyen de se fournir d'argument ; « on ne vous croira pas, beaux sires ». Je suis persuadé que les hommes éclairés de l'avenir verront assez bien la vérité sur mon compte, en dépit de toutes les calomnies. Et puis, dans le sein du Père éternel, comme on deviendra indifférent aux erreurs d'histoire littéraire ! ("Feuilles détachées")


  • Considérations philosophiques

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