• Considérations politiques

     

    Dure condition du temps présent ! Cruelle alternative! Il faut, si l’on veut servir l’avenir, travailler à détruire la société présente. Car elle est injuste, la forme seule la maintient. Posé l’inégalité des conditions, éliminé la religion, il n'y a qu'une conséquence à tirer : détruire. Or, il est dur de détruire, il faut s’attirer la haine de tous ceux qui s’appe11ent honnêtes gens, il faut prendre un rôle odieux, il faut s’associer à des brigands, il faut se réunir au camp des méchants, et les bons vous maudissent. O barbares! ô inintelligence! D’autre part, être conservateur, ah Dieu! quel crime! Quelle belle âme peut vouloir conserver! La belle âme n'hésite pas, elle est pour l'avenir. ("Ernest et Béatrix")

    Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà la condition essentielle pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant Spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes » est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie.(...)Je disais tout à l'heure : « avoir souffert ensemble ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes ; car ils imposent des devoirs ; ils commandent l'effort en commun. (...). Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. ("Qu'est ce qu'une nation")